Reflexion sur la violence
Dans le cadre de la journée de la non-violence éducative, Olivier était invité par l’association Bien Naître et Grandir à animer une conférence sur « La fessée : questions sur la violence éducative ».
Le sens de l'empathie peut être mutilé si l’enfant est obligé à se blinder contre ses propres émotions
Olivier Maurel a été professeur de lettres. Mais il a également été enfant durant la guerre. Une de ses sœurs a été déportée. Puis il a vécu le contexte de la guerre d’Indochine et d’Algérie. Tout cela l’a fait réfléchir sur la violence et la guerre. Il se demandait d’où venait toute cette violence. Il y a 15 ans, sa femme lui fait lire Alice Miller[1] . Il y puise une clarté nouvelle. Elle explique que la violence trouve ses racines dans la violence subie dans l’enfance. Elle applique cela à l’histoire et aux politiques, notamment en montrant que les grands dictateurs ont eu une enfance insupportable qui a mis une charge de violence en eux, et que, de plus, ils ont pris le pouvoir parmi un peuple déjà soumis à la violence éducative.
Un jour, Alice Miller lui demande d’écrire un livre sur la fessée, car elle n’en avait pas le temps. Olivier Maurel se prend de passion pour ce thème. Il découvre qu’il n’y a pas un seul philosophe qui ait tenu compte de cette violence éducative : tous ont contourné ce problème et sont passés à côté.
La violence éducative ne nous concerne pas seulement en tant que parents, mais aussi en tant que citoyens, car la violence a des répercussions sur l’histoire. Dans les statistiques, la violence éducative physique concerne 80 à 90 % de la population mondiale, à divers degrés. Mais même une violence de faible intensité marque.
De nombreux parents objectent a posteriori que les fessées ne leur ont jamais fait de mal. Pourtant ces mêmes personnes seraient choquées et iraient porter plainte si un policier les giflait pour une infraction au code de la Route. Alors que cette infraction peut avoir des répercussions beaucoup plus lourdes qu’un simple supposé « caprice » d’enfant ! Pourquoi l’adulte protesterait-il, alors qu’il considère normale la même gifle portée contre un enfant ?
De même, une claque donnée à une personne âgée ne voulant pas s’habiller par exemple, nous choque. Pourtant les mêmes raisons motivent cette claque : l’âge et l’état du cerveau de la personne frappée.
Il semble donc que nous ayons une dissymétrie du jugement concernant les coups portés aux enfants. Nous sommes insensibilisés au problème de la violence éducative.
Depuis le 18ème siècle, on a interdit de frapper tous ceux que l’on avait le droit de frapper avant : domestiques, soldats, prisonniers, femmes. Il ne reste que les enfants que nous ayons le droit de frapper impunément. C’est même recommandé (même par des professionnels de l’enfance…). Pourtant, sur les enfants, les coups physiques ont des répercussions plus graves.
Dans la littérature, malgré tous les génies de l’expression des sentiments, il faut attendre le 19ème siècle pour qu’on commence à dénoncer les enfants battus. En 1974, Jules Vallès ose dire qu’il a été frappé matin et soir par ses parents.
Beaucoup de livres ont été écrits sur la violence. Dans ces livres, il n’est quasiment jamais question de la violence éducative. Seul Pierre Carli a presque été au bout des choses en dénonçant la maltraitance.
Notre jugement a été anesthésié. Les claques et fessées ont fait se désactiver notre compassion et notre indignation par rapport à cette question. On ne la voit même plus.
L’enfant frappé se culpabilise, à condition qu’il ne reçoive pas une dose de violence supérieure à celle que reçoivent ses camarades. Il se dit que c’est normal et que c’est parce qu’il est coupable. Il se dit que les enfants sont mauvais et ont besoin d’être « corrigés ». Il devient un adulte qui pense que les hommes sont mauvais, avec toutes les conséquences politiques que cela peut avoir.
Il n’est pas question pour autant d’être partisan du laxisme. Tout le monde, à tout âge, a besoin de limites qui peuvent être apprises sans violence. Si par accident, on frappe son enfant, il reste la ressource de s’excuser. Mais il ne faut pas se dire, ni laisser entendre, que c’est normal.
Les violences physiques graves subies par les enfants sont la partie émergée de l’iceberg. C’est la maltraitance. Mais on ne voit généralement pas la partie immergée qui, elle, concerne bien plus d’enfants. En 1999, 85 % des parents avaient recours à la violence éducative.
La frontière entre violence éducative ordinaire et maltraitance est floue. Le débat entre partisans des claques et partisans des fessées l’illustre. Un autre exemple : les coups de bâtons étaient parfaitement admis autrefois. Plus loin dans le temps, les parents avaient droit de vie et de mort sur leur progéniture (cf. le Deutéronome dans la Bible). Il y a une continuité entre violence éducative et maltraitance. Le 20ème siècle a connu une diminution de la violence éducative, qui stagne désormais autour des fessées et des claques. Il faut savoir que 16 pays en Europe [2]ont interdit la violence éducative. Le dernier pays en date est les Pays-Bas, depuis le mois de mars. Mais dans la majorité des pays du monde, on en est encore au niveau du 19ème siècle : on bastonne les enfants. Y compris aux Etats-Unis où, dans les écoles, les enfants et les étudiants se font fesser au moyen d’une palette en bois (dans les états du sud). En réalité, la limite entre violence éducative et maltraitance est ce que la société juge tolérable.
La violence éducative, ce sont les coups donnés de toutes les façons : mains ou autres objets. Avec toutes sortes de tactiques pour augmenter la douleur, comme le fait de mouiller l’enfant avant de le frapper. Ce sont aussi les tractions : tirer l’enfant, le soulever par les cheveux, par exemple. Ce sont les pincements, le fait de secouer un enfant aussi. Ce sont les positions douloureuses, l’enchaînement, la privation de repas, les ingestions de substances (piments, etc.), l’interdiction d’aller aux toilettes… Il y a des gens punis à vie par la violence éducative (par exemple, avec les rotules brisées du fait d’être restés de longues heures agenouillés sur un manche à balai). Ce sont aussi les punitions mutuelles (le fait de forcer un enfant à battre un autre enfant) et les humiliations.
Il faut savoir qu’aucune espèce animale ne traite sa progéniture comme nous le faisons, et ce, pour le bien de nos enfants ! De même, dans l’humanité, ce comportement n’est pas inné. Dans des sociétés de chasseurs-cueilleurs, on ne frappe pas ses petits. Il y a donc un moment où ce comportement a commencé. Ce dont on est sûr, c’est qu’au moment des premières écritures, toutes les sociétés pratiquaient la violence éducative, car il en est resté des traces sous forme de proverbes. Par exemple, il est dit dans la Bible que l’enfant porte en lui une folie et qu’il faut le battre pour l’en arracher. Néanmoins, l’intérêt de savoir que ce comportement a commencé un jour, c’est de savoir que cela pourra s’arrêter un jour. La violence éducative est liée à notre culture, pas à notre nature.
La violence vient interférer avec nos comportements innés. Tous nos comportements innés sont relationnels.
Le comportement d’imitation commence très très tôt. Nous avons des neurones miroirs qui enregistrent tous les comportements et qui nous permettent de les reproduire. Quand on a un comportement devant un enfant, on ouvre dans son cerveau le chemin pour le reproduire. Quand on frappe un enfant, on lui apprend donc en premier lieu à frapper.
Le comportement d’attachement fait que l’enfant va de lui-même vers ses parents. Le bébé a des stratégies de séduction destinées à le protéger d’un abandon. S’il voit que ses parents l’aiment mais qu’ils le frappent aussi, il va penser que cela va ensemble, que c’est comme ça que l’on vit sur terre. Or, parmi les comportements d’attachement, il y a également la sexualité. Par exemple, certains considèrent la fessée comme un abus sexuel. Déjà Rousseau racontait dans ses Confessions qu’il était devenu masochiste suite à une fessée reçue durant l’enfance.
Le comportement de soumission existe chez les animaux aussi. Mais il n’est pas bon de devenir trop obéissant, dans la vie politique comme dans la vie privée. Un enfant soumis acceptera un abus sexuel. La violence désactive alors l’instinct d’auto-défense. Notre organisme a une intelligence (qui nous commande de fuir en présomption de danger, par exemple) qui peut être dé/reprogrammée sous l’effet de la violence.
Le sens de l’empathie est la capacité de reconnaître les autres émotionnellement comme nos semblables. Ce sens existe aussi chez les animaux. Ce sens peut être mutilé si l’enfant est obligé à se blinder contre ses propres émotions. Il ne peut alors plus ressentir les émotions des autres. Cela explique les génocides… Sans empathie, on a besoin de la morale, de la religion, d’instruction civique comme prothèses de substitution. Mais en cas de crises, ces prothèses ne tiennent bien souvent pas la route.
Le système immunitaire devient moins efficace s’il est trop souvent sollicité durant l’enfance. Or le stress sollicite le système immunitaire. Le stress désactive les fonctions de digestion et le système immunitaire car le corps se prépare à fuir et met la priorité dans d’autres fonctions. Cela explique que les enfants victimes de violences soient des adultes davantage victimes de maladie et d’accidents [3].
Sans violence éducative, on voit se développer des qualités extraordinaires chez les gens. Par exemple on a interrogé plus de 400 « Justes » (des personnes qui ont sauvé de nombreux juifs durant la déportation, la plupart du temps de parfaits inconnus, qui prenaient pour cela de nombreux risques et qui agissaient seuls, avec tout le courage et la confiance en soi que cela suppose) sur leur éducation. Il en est ressorti qu’ils avaient eu des parents affectueux, qui leur avaient appris l’altruisme par l’exemple, qui faisaient confiance à leurs enfants et dont l’éducation était non autoritaire et non répressive.
La violence éducative est infligée par les parents dont la fonction première est d’assurer la sécurité de leur enfant. Au lieu de cela, ils sont perçus comme une menace et l’organisme éprouve un sentiment d’abandon.
Il faut donc cesser d’appeler éducation le fait de frapper les enfants.
Les conflits sont normaux et sains. Mais le tout est d’arriver à faire en sorte que le règlement des conflits soit efficace et non destructeur. Et que les conflits ne soient pas trop fréquents non plus.
Il est intéressant pour cela d’aménager la vie de famille et l’espace.
Concernant l’aménagement de l’espace, Jeannette Toulemonde donne des conseils pratiques dans son livre Le quotidien avec mon enfant (Éditions L’instant Présent).
Olivier Maurel nous donne l’image de la maison pour parler de la vie de famille.
Il y a donc quatre fondations : la satisfaction des besoins des enfants, celle des parents, le plaisir de vivre ensemble et un réseau de soutien.
Il faut bien distinguer les besoins des désirs. L’enfant a besoin de nourriture, de soins, de protection, d’affection. Il a également besoin de contact. Une étude danoise a révélé que les bébés ayant tout de suite été posés dans un berceau à la naissance avaient une relation avec leur mère difficile proportionnellement avec le temps où on les avait laissé pleurer. Avoir du contact en jouant permet de prendre plaisir à vivre ensemble aussi. Il y a également le besoin de considération et de respect. Les moqueries et taquineries peuvent être extrêmement pénibles pour les enfants et peuvent les faire beaucoup souffrir.
Il est parfois difficile de combler ses propres besoins dans notre société. Il est nécessaire en tout cas de se respecter soi-même. Pour cela, il peut être utile de se raconter son enfance en se faisant l’avocat de l’enfant qu’on a été.
Le besoin de vivre harmonieusement n’est pas forcément reconnu par certaines théories (freudiennes notamment) qui pensent que l’enfant (et l’homme) est fondamentalement asocial. Pourtant les enfants naissent avec la volonté d’aller vers les autres car ils en ont besoin. Tous les primates sont des animaux sociaux.
Pour maintenir l’harmonie au sein de la famille, il est important de communiquer par l’exemple. C’est la forme de communication la plus efficace. Il faut également communiquer avec les mots de manière non violente : dire ses émotions et ses besoins. Il faut aussi apprendre aux enfants la nécessité de règles de la vie en famille, à condition que les adultes les respectent aussi. On peut aussi mettre ces règles au point lors de réunions de famille. Les règles peuvent être orales, dessinées ou écrites.
En cas de conflit, il faut essayer de mettre la réflexion avant les réflexes. On peut anticiper des problèmes récurrents, tels que les repas, l’habillement, etc.
Cela peut aider de s’informer des stades que traversent les enfants, comme le stade du « non ».
On peut aussi aider l’enfant par la façon dont on le regarde. Olivier Maurel cite l’exemple de sa femme qui, alors qu’elle traversait une période difficile dans sa relation avec sa fille, s’est efforcée de la voir telle qu’elle la voyait quand elle était charmante. Sa fille a alors retrouvé sa gaieté et sa sociabilité.
Il est également très utile d’accorder à chaque enfant des moments particuliers, en les emmenant séparément faire une sortie par exemple. Cela permet d’avoir une relation unique avec chaque enfant.
Enfin, tourner les choses de manière humoristique permet de transformer le conflit en jeu.
Un proverbe africain dit qu’il faut un village pour élever un enfant. Notre mode de vie est à l’opposé de cela. Il faut se créer un réseau. D’abord, le couple, de préférence. Puis trouver un réseau d’échange, comme une association. L’échange entre parents apporte énormément. Les listes de discussion sur internet ou les forums sont souvent une source d’échanges enrichissants. On peut lire aussi. Ou écrire ses difficultés, pour avoir du recul par rapport à ce qu’on est en train de vivre.
Il est plus intéressant de s’interroger en premier lieu sur les violences physiques, car la violence physique est la seule qui soit recommandée. On ne recommande pas d’insulter ses enfants ou d’user de violence psychologique. Quant à la question de savoir si les violences psychologiques n’ont pas des répercussions plus lourdes, il faut savoir que les paroles passent par l’intelligence. Certes, elles nous atteignent et nous blessent. Mais les violences physiques nous atteignent dans notre corps et agissent sur ce qu’il y a d’animal en nous. Si l’on prétend qu’elles ne nous ont pas marqués, c’est grave car cela veut dire qu’il y a eu blindage. De plus, on ne se souvent pas forcément avoir été frappé car la violence peut nous avoir touchée quand nous étions tout-petits. On a peut-être aussi été témoin de violence. Des nounous peuvent nous avoir frappés.
Des études au Canada, menées par le professeur Tremblay, ont montré que vers 15-18 mois montait un pic d’agressivité qui redescendait autour de 3-4 ans. Cette étude n’a pas regardé si ces enfants avaient été frappés. Quoi qu’il en soit, cela correspond à la période où les enfants ne savent pas encore exprimer leurs émotions verbalement. Cette agressivité disparaît, à condition qu’elle ne soit pas entretenue par le comportement des parents.
Dans le mot agressivité, on retrouve la racine « gres » qui signifie « aller vers ». C’est une façon de vouloir communiquer, de vouloir entrer en contact.
De plus en plus, on commence à apprendre tôt aux enfants le langage des émotions. Le langage des signes peut aider aussi.
Pour pallier cela, lorsqu’il était professeur et que ses élèves commençaient à faire du bruit, Olivier Maurel baissait la voix et cela marchait très bien.
Une maman a raconté que son enfant s’étant mis à hurler en l’imitant, cela a constitué pour elle une bonne « thérapie ».
Derrière la théâtralité et les airs sévères que se donne Super Nanny, Olivier Maurel a surtout vu une femme qui ne frappe pas et qui donne des conseils globalement positifs : se mettre à la hauteur de l’enfant pour lui parler, expliquer les règles et les appliquer soi-même.
Tout dépend des mots et de l’intention qui sont mis derrière. Quand Olivier Maurel et son épouse étaient dépassés par un de leur cinq enfants, ils lui demander d’aller au « pleuroir ». C’était un pis-aller qui leur permettait de ne pas craquer. Mais c’est différent de forcer l’enfant à aller au coin, qui est alors présenté comme une punition.
Ça prend un sens différent encore quand c’est l’adulte qui s’isole pour se calmer.
Tout d’abord, s’excuser. Il y a une plasticité cérébrale qui fait que le cerveau peut se remettre. Certaines cicatrices peuvent néanmoins nécessiter de suivre une psychothérapie.
À télécharger aussi : Sans fessée, comment faire ? http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/0/19/43/08/sansfessee05.pdf
[1] C’est pour ton bien (Éditions Aubier), L’enfant sous terreur (Éditions Aubier), La connaissance interdite (Éditions Aubier), La souffrance muette de l’enfant (Éditions Aubier ), Notre corps ne ment jamais (Éditions Flammarion), Libres de savoir (Éditions Flammarion). http://www.alice-miller.com
[2] cf. notamment notre hors série sur l’éducation sans violence.
[3] cf. Faut-il battre ses enfants ? de Jacqueline Cornet, Éditions Hommes et perspectives.