Lettre ouverte

"Chere copine d'enfance,
Tu me demandes comment va ma vie d'expatriee. Et bien mon nouvel environnement me plait de plus en plus. Peu a peu, le choc culturel a cede la place a ces petites choses qui se repetent chaque jour et font qu'on se sent à la maison. Au début, on a l'impression d'être comme en vacances : tout est nouveau, on s'installe, on essaie de comprendre comment marche le système, on découvre, on s'en amuse. La maison a une odeur de "chez quelqu'un d'autre" puis au fil des jours, des gateaux cuits au four, des batonnets d'encens Balinais le soir, on se sent chez soi et on s'y trouve vraiment bien. Mais une fois tout en place, on réalise qu'on va rester la un bon moment et on attrape le vertige.

Les mauvais cotes de la situation nous prennent alors a la gorge : tout le monde nous manque, on se sent loin, on a l'impression que la vie passe sans nous. Personne n'a besoin de nous ici, on se sent etranger a tout, on l'est. Certains aspects de la culture locale nous insupportent, on se demande pourquoi on a accepté de venir. On se met à idéaliser la France et le Japon, les gens qu'on y a laissés. Alors on fait la demarche de  prendre conscience du phénomène de cristallisation. En France ni nulle part ailleurs, tout n'est pas rose. On se rappelle que nous sommes seulement des figurants dans le theatre de la vie des autres et que nous avons avant tout une vie a jouer, la notre, ici. Que notre soif de liberté nous a amenés la ou nous sommes et que nous devons etre patients. Le vide va peu a peu se combler avec des rencontres, des visites, des expériences nouvelles, des sensations et bientot des souvenirs.

C'est exactement ce qui se passe en ce moment : des liens se nouent doucement et le trio que nous sommes puise de l'énergie en dehors de lui-même : à la crèche et aux playdates pour Sacha, a l'escalade, au yoga et bientot au surf pour Serge, au YMCA, au yoga et avec les copines pour moi et aux evenements auxquels nous participons tous ensembles.

Je suis dans l'attente d'un permis de travail. J'ai un projet professionnel en tête pour la rentrée, à l'étude pour le moment. Sacha va commencer l'école mi septembre, 3 jours par semaine... deja !

Et puis Serge. Il est la plus belle chose qui me soit arrivée et bien que je sois un top modèle aux jambes interminables et une fille toujours d'humeur égale, je m'étonne parfois qu'il me supporte et me regarde encore avec des yeux de merlan frits, apres tout ce temps... je le regarde d'ailleurs de la même manière. Le fait de vivre loin et "en vase clos" a ses bons et ses mauvais cotes pour notre relation, les bons étant d'avoir la liberté d'être nous mêmes sans parasitage historiques ou familiaux. Chacun est la seule personne sur laquelle s'appuyer et c'est très fort. Avec un inconvenient : l'absence de soupape, comme le petit café avec une soeur ou confidente pour vider son sac et après ca repart. On a appris à gérer les conflits seuls et ce n'est pas plus mal. Ca nous pousse a communiquer sur les problèmes afin de les faire avorter, plutôt que de les garder en soi et les laisser pourrir.

J'ai commence à répondre à ta question "comment va la vie" et voila que je devoile tout ou presque, qu'est-ce qui me prend !

Tu dis :"la vie n'est pas facile, même si on ne fait pas partie des plus malheureux". Quand cette pensee me traverse l'esprit aussi, je me sens honteuse. A tort. Le confort aide à se sentir bien mais il ne resoud pas tout. Ce n'est pas ce qui donne du sens. Se sentir vraiment bien dans sa vie est une longue quête, dans laquelle nous n'avançons pas tous au même rythme. Ca dépend de tellement de paramètres, conscients, inconscients, endogènes ou non. Le cerveau humain est si mystérieux et fragile...

Il n'y a pas de solution miracle et ca peut être un vrai travail comme tu le dis si bien. Chacun elabore ses propres strategies comme il peut et finalement, ou qu'on soit, c'est une belle aventure, non ?

Bon week-end,

ta vieille cops"